Lors de mon voyage durant l’été 2023 à Rome, je suis allée visiter les Termes de Caracalla. À l’occasion des trente ans de l’attentat des églises San Giorgio al Velabro et San Giovanni in Laterano, qui a abasourdi le peuple italien et chrétien, la célèbre photographe et photojournaliste italienne Letizia Battaglia a été mise à l’honneur un an après sa mort. Quatre vingt-douze photographies ont été exposées pendant plusieurs mois dans deux salles fraîchement restaurées du légendaire centre thermal romain.
Une artiste engagée et antimafia
Née en 1935 à Palerme, Letizia Battaglia a photographié pendant plus de trente ans l’emprise de la mafia sur la Sicile, puis les femmes du quotidien. Véritable reporter, elle a documenté quotidiennement les années 70 et 80 des crimes sanguinaires de la Cosa Nostra, en y constituant ce qu’elle appellera ensuite une « archive de sang ». Partie de la maison à seize ans pour fuir un père trop autoritaire, elle rencontre un mari étouffant. S’oubliant petit à petit, elle tomba en dépression et décida de quitter son île avec sa fille, pour rejoindre la ville de Milan, où elle rencontra de nombreuses personnes et commença son activité professionnelle pour un journal quotidien. Elle commence alors à photographier des cadavres, des mouvements de foule, la terreur et la colère sur les visages, les femmes et familles en deuil.
Directement, son style est reconnaissable : photographie en grand angle et en noir et blanc pour éviter le rouge trop agressif du sang et par respect pour les endeuillés. Extrêmement engagée dans la lutte antimafia, elle prend Palerme pour un terrain de jeu et y capture chaque instant sociétal : la pauvreté dans les rues, les la noblesse, les fêtes familiales, les jeunes filles, l’hôpital psychiatrique… Letizia Battaglia a ainsi commencé à écrire, à travers ses photos, l’histoire de Palerme, sa ville natale qu’elle chérit tant. Elle a été plusieurs fois récompensée dans les années 90 pour son travail, notamment par le prix W. Eugène (dont elle est la première femme européenne à l’obtenir). Défenseuse de la liberté et de la justice, elle fut menacée à plusieurs reprises par la mafia sicilienne. Elle décède en 2022 à l’âge de 87 ans, en laissant derrière elle, tout un documentaire et un héritage photographique sur la criminalité.

Des photographies aux histoires poignantes

« Senza fine » (sans fin, en français) est un projet photographique et journalistique inédit qui retrace cinquante années (de 1970 à 2020) de travail. Le parcours est composé d’oeuvres mêlant amour, douceur, passion, crime, drame et engagement. La star de l’exposition ne peut être nulle autre que la photo poignante de l’assassinat du Président de la Région sicilienne, Piersanti Mattarella, tué par balle le 6 janvier 1980. Alors qu’elle était en voiture avec son mari et sa fille, elle vit un attroupement autour d’une voiture. Elle s’arrêta pour prendre une photo de la scène puis partit. Elle remarqua seulement quelques instants plus tard la gravité de la situation. L’exposition est constituée d’oeuvres plus connues que certaines, mais toutes ont un point commun : elles racontent les crimes organisés par la Cosa Nostra et la peur ou la colère des spectateurs.
Un lieu d’exposition spectaculaire
Les thermes de Caracalla, un monument prestigieux datant de plus de deux mille ans en plein Rome. Cet événement culturel a permis aux touristes de visiter et d’explorer un lieu emblématique de la civilisation romaine, et aux citadins de découvrir le travail de Letizia Battaglia sous un angle différent. L’aménagement de la grande zone archéologique rend également hommage à une autre artiste italienne, née à Rome : Lina Bo Bardi. C’est à cette grande architecte que l’on doit les beaux exposants en plaque de cristal trempé, empruntés au Musée d’Art de São Paulo, au Brésil, sur lesquels sont exposés les photographies de Letizia Battaglia. Le monument en lui-même s’étend sur plus de onze hectares est demeure encore aujourd’hui l’édifice thermal le mieux conservé de l’Empire romain. Les ruines ont conservé leur aspect et l’on peut d’ailleurs toujours apercevoir quelques mosaïques murales et dessins sur le sol, qui nous laissent nous imprégner de l’histoire antique et des lieux.
Si l’exposition est terminée depuis novembre 2023, je vous invite à regarder de près la programmation du prochain festival des thermes de Caracalla, qui aura lieu lors de la prochaine période estivale à Rome. Parmi les diverses festivités, il y aura de l’opéra, des concerts symphoniques, du jazz, de la danse, du théâtre, du cinéma, de la pop, et bien d’autres encore…
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