Dans les premières minutes de "Les chambres rouges", on y voit Kelly-Ann, la protagoniste jouée par Juliette Gariepy, se rendre au tribunal de Montréal (au Québec), passer les portiques et s’asseoir dans la salle d’audience. Les longs couloirs qu’elle traverse rapidement, les teintes d’un bleu très froid, limite glacial, et la musique très vive, au rythme effréné, nous embarquent directement dans une situation inconfortable, presque anxiogène. Un débat entre les avocats explique la situation : Ludovic Chevalier, surnommé « Le Démon de Rosemont » est l’auteur de trois meurtres sur mineures. Il a réalisé des vidéos de chaque crime, commis dans d’immenses atrocités, pour les diffuser en direct sur le Dark Web, dans ce que l’on appelle « des chambres rouges » (d’où le titre du film). La séance du procès se termine, Clémentine (jouée par Laurie Fortin-Babin) fait son apparition. On comprend alors au fur et à mesure du déroulement, qu’elle est tombée amoureuse du tueur, pour ses yeux qu’elle qualifie de « tristes ». Laurie Fortin-Babin incarne une jeune femme semblant être seule, un peu niaise, en quête de bonheur et d'amour. Le scénario pourrait faire penser au genre horreur, mais c'est un thriller puisque la production n'a à aucun moment montrer des scènes gores à l'écran ni des extraits de vidéos comportant du sang. La torture n'est qu'évoquée au début du film lors des dialogues entre avocats.

Véritablement fascinée par cet homme au physique complètement banal, elle va suivre presque tout son procès, dans le but de le défendre. Elle se liera d’amitié avec Kelly-Ann, jeune mannequin montréalaise et joueuse professionnelle de poker, passionnée d’informatique, qui habite dans un appartement luxueux en plein centre de Montréal. Cette dernière au quotidien simple et routinier, reste tout de même mystérieuse tout le long et résoudra à la fin une enquête, qui aura un impact sur la scène finale du procès.
Le film est joué dans le présent, avec comme seuls indices temporels les jours de la semaine. Durant les 1h58, il n’y a aucune date, ni aucun saut dans le passé ou dans le futur, et l’on suit le quotidien de l’actrice principale. L’intrigue est menée tout le long, avec peu de dialogues, ce qui oblige le spectateur à se concentrer sur les expressions faciales et mouvements des personnages. D’ailleurs, Ludovic Chevalier, incarné par Maxwell McCabe-Lokos, ne dira aucun mot, mais chacun de ses gestes sera scruté (quand il bouge ses jambes ou qu’il se gratte les mains). Les seules personnes qui parlent sont Kelly-Ann, Clémentine, les deux avocats, les journalistes et la mère d’une défunte (interprétée par Elisabeth Locas). Le casting est donc composé en majorité de femmes. Il y a certains moments de silence pour accentuer l’énigme, qui sont très vite rattrapés par des musiques stressantes et des cris angoissants, accompagnés d’images sombres et abstraites.
L’entièreté du film est réalisée dans la pénombre, avec comme seuls paramètres la désaturation et le bleu froid.


Mais alors pourquoi ce choix ? D’après l’interview de Pascal Plante dans « Sens Critique » (disponible sur YouTube), on apprend qu’il est intéressé par les sujets qui font polémique. Grand cinéphile, il a visionné des tonnes de thrillers et de films sur la criminalité et les meurtres, mais il jugeait qu’il y manquait souvent un angle et une structure. Sa porte d’entrée pour la réalisation de « Les chambres rouges », était de montrer la fascination ressentie par certains êtres humains envers des criminels. Il voulait également prouver à travers son œuvre cinématographique, qu’il n’y a pas d’apparence spécifique pour un tueur et qu’ils peuvent avoir le physique de Monsieur Toutlemonde. Chaque scène du film est construite dans un réalisme permettant au spectateur de se projeter comme si la fiction pouvait devenir réelle d’une minute à l’autre.
Juliette Gariépy (interprète de Kelly-Ann), déclare avoir fait quelques répétitions mais a improvisé la majeure partie du temps, afin de conserver sa spontanéité et le naturel de ses mimiques. Pour construire le rôle, Pascal Plante explique avoir principalement parlé du personnage et du récit, plutôt que des conditions et de ses attentes. Toute cette improvisation a déconstruit les standards de l’acting, ce qui rend le thriller intéressant visuellement et prenant artistiquement.

Pour ma part, à la sortie de salle, je ne savais pas trop quoi en penser. J’avais besoin de m’aérer l’esprit en marchant et d’y réfléchir tranquillement. Pendant la projection, il y avait des éléments que je ne comprenais pas, comme pourquoi utiliser un déguisement pendant qu’elle rentre par effraction dans la maison ? Mais après réflexion, j’ai trouvé une réponse à mes questions. Toute cette ambiance, les visages stoïques, le choix des décors et des teintes, les musiques composées par Dominique Plante ont pris un sens. C’est un format de thriller que je n’avais encore jamais vu au cinéma, qui amène à se méfier du monde qui nous entoure en nous poussant dans une sombre réalité. Pascal Plante est parvenu à montrer un autre style, ce qui constitue toute sa singularité artistique.
Bref, je vous conseille d’aller voir ce film de Pascal Plante pour sa mise en scène soignée et son scénario original, qui ont récolté beaucoup de critiques positives sur les sites web de Sens Critique et AlloCiné notamment !